>Thérèse Bisch. Artiste peintre. Paris.

Quand peinture dit mieux que de longs discours Gilles Manceron, mai 2017

 

Dans les toiles de Thérèse Bisch évoquant la Grande guerre, les visages sont flous et les silhouettes, à peine distinguables par leur casque ou leur uniforme, s’évanouissent dans le brouillard ou la fumée des bombes. Pourtant, du vécu des soldats, elles nous donnent une image plus nette que les plus savants des travaux d’historiens. Entre les spécialistes de l’histoire de ce conflit, a surgi ces derniers temps une dérisoire guerre de tranchées. Pour les uns, du fait du nationalisme d’alors et de la discipline imposée par l’armée, les poilus ont subi une terrible contrainte qui explique leur persistance à combattre si longtemps. Pour d’autres, les leçons de l’école primaire ont provoqué en eux une adhésion délibérée au combat pour la patrie. Chacun de ces camps n’a capté qu’une part de la réalité. Aucun, aussi bien que les toiles de Thérèse Bisch, n’a su dire l’état d’esprit des poilus de 14-18, fait indissolublement d’obstination et de refus, de courage et de résignation, étroitement imbriqués.

Ce que ce peintre a compris et a su montrer, c’est aussi la perte d’identité de ces hommes.  Leur perte d’humanité. Dans ses toiles, leurs silhouettes forment souvent une masse informelle, comme un essaim. Leurs masques à gaz transforment les combattants en créatures d’un autre monde. Certains hommes sont serrés, verticaux comme des croix, tandis que les croix sont présentes elles aussi, et paraissent alignées comme des brigades ou des compagnies. Les seules blessures visibles sont celles des paysages. Des soldats, on ne voit pas les traits des visages. Aucune « gueule cassée », ce sont des taches abstraites, allégories vagues, renvoyant aux ravages qui, dans la réalité, ont dévasté la face de beaucoup d’entre eux.

Mais ce qui frappe plus encore dans ses toiles, c’est la manière dont les militaires, ces enfants, ces citoyens sous l’uniforme, sont le plus souvent montrés de dos. Et c’est la courbure de leur dos. Une courbure qui en dit bien plus sur leurs pensées que les pieux mensonges laissés le plus souvent, dans leur pudeur, par les soldats dans leurs lettres à leur famille. Elle dit leur amertume et leur résolution. Ces dos aux épaules penchées font écho aux paroles poignantes de la chanson de Craonne où ceux remontant au front disent que leur place y est « si utile », mais aussi qu’ils y vont « en baissant la tête », car « nous sommes tous condamnés, c’est nous les sacrifiés ».